11.10.23
MEDITATIONS DU PÈRE SAVERIO, directeur spirituel de Cagliari (Italie)
JESUS DANS LE PLUS PAUVRE DES PAUVRES.
NOTRE SECOND TABERNACLE : "C'EST À MOI QUE VOUS L'AVEZ FAIT"
INTRODUCTION
Ce matin, nous réfléchirons ensemble sur ce que l'on appelle le deuxième pilier du Mouvement des Laïcs Missionnaires de la Charité : "Jésus le plus pauvres des pauvres, notre deuxième tabernacle : "C’est à moi que tu l'as fait ».
Cette affirmation (c'est à moi que tu l'as fait) fait partie du passage du chant évangélique de Matthieu 25, 31 - 46, qui parle du jugement dernier. Les hommes sont séparés comme les brebis des boucs et seront jugés sur la charité envers les frères plus petits. Les deux groupes posent la même question à Jésus : "Quand t'avons-nous vu affamé, assoiffé, étranger, nu, malade ou en prison, et ne t'avons-nous pas secouru ?’’ Et la réponse de Jésus est claire et spécifique : "En vérité, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l’avez fait". Le tabernacle renvoie donc à la présence de Jésus dans les plus petits des frères et dans les pauvres nécessiteux.
Le service aux plus pauvres des pauvres pour ceux que l'on appelle les Laïcs Missionnaires de la Charité, est présenté dans les Statuts et le Chemin de Vie du numéro 28 au numéro 34. Dans ce même texte, qui parle du quatrième voeu, il est dit qu'il exprime :
1. Leur charisme particulier
2. L'appartenance familiale et l'interdépendance des Missionnaires de la Charité
3. Le type d'apostolat qui devra les engager
4. Le type de personnes qui sont appelées à être servies et la manière de servir.
Etant donné l'importance que les pauvres parmi les plus pauvres ont pour les Laïcs Missionnaires de la Charité, à partir de l'Ecriture Sainte, nous voulons découvrir cette catégorie privilégiée par Jésus.
LES PAUVRES DANS L'ANCIEN TESTAMENT
La naissance du peuple de Dieu est racontée dans le livre de l'Exode. Moïse, qui signifie "sorti de l'eau", après avoir passé quarante ans dans le désert de Madian, est envoyé par Dieu pour libérer Israël des Égyptiens. L'appel et l'envoi de Moïse ont lieu lors d'une apparition de Dieu dans un buisson qui brûle et ne se consume pas. Moïse obéit. Le livre de l'Exode raconte le passage du peuple qui traverse la mer Rouge, l'Alliance du peuple avec Dieu sur le mont Sinaï et le chemin dans le désert, d'une durée de quarante ans, jusqu'à la terre promise. La libération de l'Égypte sanctionnera la fin de l'esclavage. Israël est un peuple libre. En vertu de l'alliance du Sinaï, il devient le peuple de Dieu, libre et juste dans la fidélité à sa loi : les dix commandements. Nous attendons donc une Société parfaite. Nous nous demandons alors : ?comment est-il possible que l'on parle de pauvres dans les Ecritures ?
L’Évolution sociale
Israël a connu une évolution sociale au fil du temps, passant d'une civilisation nomade à une civilisation sédentaire dans des villages ou des villes. Dans la civilisation nomade, il y a plus ou moins de familles installées. La sédentarisation entraîne une profonde transformation sociale. Le centre social n'est plus la tribu, mais le clan installé dans une ville ou un village plus ou moins étendu.
On commence à parler des pauvres à partir du VIIe siècle, début de la monarchie, car au début de la sédentarisation, tous les Israélites jouissaient de la même condition sociale. Les richesses provenaient de la terre et étaient réparties entre les familles. A partir du huitième siècle, sous la monarchie, les choses changent malheureusement : on trouve le quartier des maisons riches, plus grandes et mieux construites, séparé du quartier où s'entassent les maisons pauvres. Comme l'annonce le prophète Samuel (1Sam 8, 10-22), avec la monarchie naît une classe de fonctionnaires qui profitent de leur administration et des faveurs que leur accordent les rois. C'est un temps où règne la prospérité, comme le montre Osée 12, 9 qui fait dire à Israël : "Je me suis enrichi, j’ai amassé une fortune" ; et Isaïe 2, 7 : ‘’Le pays est rempli d'argent, d'or et d'immenses trésors.’’
Les prophètes condamnent le luxe des habitations, Os 8,14 ; Am 3,15 ; 5,11 ; des banquets, Is 5,11-12 ; Am 6,4 ; des vêtements, Is 3,16-24, l'accaparement des terres qui accumulent maisons sur maison et champs conjoints aux champs, Is 5,8. Cette situation, où les richesses sont mal réparties, provoque le jugement sévère des prophètes : "S’ils convoitent des champs, ils s’en emparent ; des maisons ils les prennent ; ils saisissent le maître de sa maison, l’homme et son héritage" (Mi 2,2). Les riches spéculent et fraudent, Os 12.8 ; Am 8.5 ; Mi 2.1-ss ; les juges se laissent corrompre IS 1.23 ; Ger 5.28 ; Mi 3.11 ; 7.3 ; les créanciers sont implacables, Am 2.6-8 ; 8.6.
Aux riches s'opposent les faibles, les petits, les pauvres qui subissent des impôts lourds et insupportables. Les prophètes prennent la défense des pauvres, Is 3,14-15 ; 10,2 ; 11,4 ; Am 4,1 ; 5,12 ; Ps 82,3-4. La loi protège les pauvres : le Deutéronome, qui reflète cette période, promulgue le précepte de l'aumône et Dt 15, 7-11 oblige à rendre le gage aux pauvres avant le coucher du soleil. Chaque année sabbatique, le produit de la terre était laissé aux pauvres, Es 23,11 ; les dettes remises Dt 15,1 et, l'année du jubilé, une libération générale était proclamée, et chacun reprenait possession de son patrimoine, Lv 25,10. Deux axes de réflexion
Deux lignes de pensée
Face aux riches et aux pauvres, deux lignes de pensée contradictoires se profilent. Selon la thèse du salaire, la richesse est une récompense de la vertu et la pauvreté un châtiment (cf. Psaume 1,3 ; 112,1-3 ; Pr10,15-16 ; 15,6). Job protestera contre cette ligne de pensée.
Une autre ligne de pensée et de pratique part de l'expérience et des faits estimés par les prophètes, selon lesquels il y a des riches méchants, impies, oppresseurs des pauvres, alors que ces derniers sont aimés de Dieu, Dt 10,18 ; Pr 22,22-23. Dans cette ligne, le Messie espéré par les pauvres de Jahvé leur rendra justice, Is 11.4. La spiritualité du pauvre se développera dans la seconde partie d'Isaïe et dans le psautier post-hésylique.
Le pauvre aux multiples visages
D'après tout ce que nous avons lu et cité, le vocabulaire utilisé dans la Bible pour désigner le pauvre reflète des situations humaines contingentes. Ainsi, le pauvre est appelé "l'indigent", "le maigre", "le faible", "le mendiant", "l'abaissé", "l'affligé", "le persécuté". Ce sont les "anawim" aux multiples visages.
Le cri des pauvres qui monte aux oreilles de Dieu comprend la prière des persécutés, des malheureux, des affligés (Psaumes 9-10 ; 22 ; 25 ; 69). Les pauvres espèrent des lendemains meilleurs et attendent le salut de Dieu. Le pauvre est présenté comme le serviteur de Jahvé (Psaume 86) qui se réfugie en Dieu avec confiance, qui le craint, qui le cherche.
Les traducteurs grecs du psautier ont compris que les pauvres ne sont pas seulement ceux qui souffrent de la misère matérielle. Pour traduire 'anaw, ils ont souvent utilisé le mot prays, qui évoque l'idée de l'homme docile, tranquille même dans l'épreuve. Le mot 'anaw peut également être traduit par 'humbles' (Ps 10,17 ; 18 ; 28 ; 37,11 ; Is 26,5-ss).
LES PAUVRES DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
Le messie des pauvres
Avec le début des béatitudes "Heureux les pauvres en esprit", Jésus veut faire reconnaître en eux les héritiers du royaume de Dieu : Cf. Jacques 2, 5 : " Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n'a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l'auront aimé ? ‘’ L'accomplissement des promesses est annoncé dans le Magnificat. Jésus apparaît alors comme le messie des pauvres, consacré par l'onction pour leur apporter la bonne nouvelle : "L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l’onction. Il m'a envoyé apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur" (Lc 4, 18-19).
Jésus lui-même se fait pauvre : Bethléem, Nazareth, la vie publique, la croix sont des formes différentes de la pauvreté du Verbe fait chair. Jésus invite tous ceux qui souffrent, fatigués et opprimés, à venir à lui, doux et humbles de cœur.
La pauvreté spirituelle
Si, dans l'Ancien Testament déjà, la pauvreté est considérée comme une dimension spirituelle, les disciples de Jésus participent également à cet appel : ‘’Heureux les pauvres en esprit" (Mt 5,3), c'est-à-dire ceux qui ont une âme pauvre.
Jésus exige de ses disciples le détachement intérieur des biens temporels afin de pouvoir rechercher les vraies richesses (cf. Mt 6, 24-33 ; 13,22). Les pauvres en esprit, les 'anawim, sont conscients de leur pauvreté spirituelle et savent qu'ils ont besoin de l'aide de Dieu (cf. Lc 18,9-14). Ils sont comme des enfants, confiants en Dieu et c'est pourquoi le Royaume de Dieu leur appartient.
La pauvreté de fait
La pauvreté spirituelle suffit-elle ou la pauvreté effective est-elle nécessaire, signe de détachement intérieur ? Jésus met en garde contre le danger de la richesse. À ceux qui veulent le suivre de près, Jésus demande une pauvreté volontaire et effective.
Et pour ceux qui n'ont pas choisi et qui se retrouvent pauvres ? Eux aussi sont bénis dans le royaume de Dieu à condition d'accepter leur sort et de rester généreux dans l’indigence (voir Lc 16,19-25).
Le service des pauvres
La misère est une condition qui doit être combattue par la justice sociale : ceux qui ont plus doivent aider ceux qui sont dans le besoin. Le service des pauvres est une expression de notre amour pour Jésus : en eux, nous l'aidons vraiment en attendant son retour (Mt 25, 34-46). Toute l'Écriture met en évidence un Dieu qui se penche sur la souffrance des pauvres.
LES PAUVRES DANS LE COEUR DE MÈRE TERESA DE CALCUTTA
Comment Mère Teresa voyait-elle les pauvres ? Laissons-la parler elle-même :
"Lorsque je ramasse une personne affamée dans la rue, je lui donne une assiette de riz, un morceau de pain, je satisfais et j'apaise cette faim. Mais pour une personne marginalisée, qui se sent non désirée, non aimée, effrayée, qui a été rejetée par la société, ce type de pauvreté est vraiment très douloureux et je trouve que cela très douloureux. Il y a beaucoup de gens qui ont faim d'amour : des personnes âgées, des handicapés, des malades mentaux, des gens qui n'ont personne, personne qui les aime. Peut-être que ce type de faim est également présent dans votre foyer, dans votre famille, où il y a peut-être une personne âgée ou malade.
Avez-vous déjà pensé que vous pouvez montrer votre amour pour Dieu même en donnant un sourire, en offrant un verre d'eau ou en vous arrêtant pour discuter ? Il y a beaucoup, beaucoup de personnes de ce type dans les pays riches. Il y en a réellement beaucoup.’’
À la lumière de ce que nous venons d'entendre de Mère Teresa, on comprend, comme le dit le statut de ma vie dans le livre édité par Adolfo Costa et Don Corrado Vitali : "que le service auquel est appelé le Laïc Missionnaire de la Charité est avant tout et surtout envers des personnes spéciales, que les autres ne voient pas, qui ne les intéressent pas, que souvent les autres ignorent et qui sont pour moi les meilleures, ce sont des amis, ce sont les maîtres, elles sont Jésus".
CONCLUSION
Au terme de ce parcours, nous pouvons dire que les pauvres sont une catégorie de personnes victimes d'injustices sociales condamnées et dénoncées par les prophètes de tous temps. Nous avons découvert les multiples visages de la pauvreté : matérielle, morale et spirituelle. C'est à cette catégorie de personnes, miséreuses et humbles, que Dieu adresse ses plus tendres prédilections. Le Messie qu'ils attendent sera le Messie des pauvres et Jésus sera la réalisation de ces attentes que Marie chantera dans son Magnificat.
Le charisme de Mère Teresa de Calcutta exprime donc la passion pour les plus pauvres des pauvres que les Laïcs Missionnaires de la Charité sont appelés à servir sur leur lieux de vie et de travail.
RÉSUMÉ
Jésus dans le plus pauvre des pauvres. Notre Deuxième tabernacle : "C'est à moi que vous l'avez fait"
Introduction 1
Les pauvres dans l'Ancien Testament 2
L’Évolution sociale 2
Deux lignes de pensée 3
Les pauvres aux multiples visages 3
Les pauvres dans le Nouveau Testament 4
Le Messie des pauvres 5
La pauvreté spirituelle 5
La pauvreté de fait 5
Le service des pauvres 5
Les pauvres dans le cœur de Mère Teresa de Calcutta 6
Conclusion 6