08.05.20
Chers frères et sœurs bien-aimés,
Que la paix et la joie soient votre bénédiction et votre force, en particulier en ce temps saint du Carême, que nous venons de commencer. Comme Jésus et avec lui, nous aussi, nous allons dans la solitude du désert pour être seuls avec le Seul qui parlera à nos cœurs et nous entendrons sa voix dans le silence et dans le calme de nos cœurs. Que ce Carême soit un temps de nombreuses grâces et qu’il nous prépare pour la grande fête de Pâques !
Le monde est dans une grande épreuve à travers la terrible peste du coronavirus. Le Seigneur veut que toutes les nations et tous les peuples du monde se tournent vers lui. Nous ne pouvons pas exister ni avoir une paix, une joie, une santé et une richesse réelles et durables sans Dieu, notre Créateur et Seigneur. Prions pour que la peste du coronavirus devienne une école à travers laquelle nous comprenons la nécessité absolue de faire confiance à Dieu, en lui donnant le grand honneur et la gloire qui lui sont dûs. Le genre humain, ignorant le Père et le Créateur, essaie de se replacer au centre du monde. La tentation perpétuelle d’essayer de construire la tour de Babel (cf. Gn 11,1-9), adorant le veau d'or (cf. Ex 32, 1 ss.)… etc. à la place de Dieu, se terminera par un terrible désastre.
C'est l'heure d'ouvrir les yeux sur notre Dieu, de nous réveiller, de lire les signes des temps. Aujourd'hui comme hier, le monde appartient à Dieu. Le monde est notre maison d'hôtes et non notre demeure permanente. Nous n'avons pas un monde sans Dieu. Cela ne dépend pas de ce que je pense ni de comment je le pense !
« Les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres où sont-ils ? » (Lc 17, 11-19). Un sur dix est venu reconnaître la puissance de Dieu, exprimer sa gratitude. Aujourd'hui, dans notre soi-disant prospérité, notre autosuffisance naturelle et notre autonomie, nous avons facilement tendance à oublier le Dieu qui nous a faits ; nous essayons de nous adorer à la place de Dieu. Nous sommes terriblement tentés de nous placer au centre et de nous encenser. Nous nous trompons terriblement. Nous avons péché et nous continuons de tomber dans le péché d'idolâtrie.
C'est le moment favorable, c'est le jour du salut (cf. 2 Co 6, 2) et de la rédemption. La première lecture du mercredi des Cendres nous donne un aperçu de la façon d'aborder et de faire face aux problèmes épineux qui surgissent de tous côtés. C'est l'heure de tomber à genoux avec les mains jointes pour demander de l'aide à Dieu, qui seul est notre vrai Dieu, non pas la richesse, pas le pouvoir ni le prestige. Aucun pouvoir politique ne peut conquérir Dieu, ni continuer à vivre comme s'il n'était pas là. Même si nous nions l'existence de l'air que nous respirons, parce que nous ne le voyons pas, l'air continue d'exister et de fonctionner. Nous faisons quelque chose de similaire : nous disons que nous ne voyons pas Dieu et que nous n’avons pas besoin de lui et que nous pouvons gérer notre vie sans lui ! Il est une nuisance dans nos vies. Nous pensons qu'il est facile de vivre sans reconnaître Dieu et sa présence et son action dans nos vies, son autorité et sa souveraineté. Nous voulons conquérir Dieu. Dans notre tentative de le faire, nous sommes conquis par Dieu à travers la souffrance et la douleur, la pestilence et les calamités naturelles. Elles sont destinées à être des cours de médecine : pour réfléchir et changer notre attitude et notre mode de vie !
Le Carême est une période de toute l’année très puissante, nous invitant à prier avec plus de ferveur, à offrir plus de sacrifices et à faire pénitence, à rompre et à partager notre pain avec les affamés. Rompre et partager. Ne continuez pas à garder égoïstement les choses périssables comme si elles étaient éternelles, mais rompez sans crainte et partagez généreusement avec ceux qui sont privés des nécessités basiques de la vie.
Le Carême est un moment pour réfléchir sur le plus grand amour de Dieu manifesté en Jésus. « Car Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé» (cf. Jn 3, 16-17); «… La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises… » (Jn 3, 19).
Le Carême nous parle de la croix, preuve du plus grand amour manifesté sur la croix. Les mains de Jésus sont étirées, clouées sur la croix. Nous voyons dans le livre de l'Exode (17, 10-13) que Moïse était assis sur une pierre et Aaron et Hur tenaient les mains de Moïse étirées pendant que la guerre se poursuivait contre les Amalécites. Tant que les mains de Moïse étaient tenues étirées, les Israélites gagnaient. Nous aussi, nous sommes en guerre contre nous-mêmes, en guerre contre le diable, en guerre contre tous les maux du monde. C'est une bataille spirituelle. Les mains de Jésus sont étirées. Contrairement aux mains de Moïse tenues par deux personnes, les mains de Jésus étaient étirées et clouées sur la croix, intercédant perpétuellement auprès du Père pour l'humanité pécheresse. « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23, 34). Jésus devient alors un intercesseur éternel avec le Père pour l'humanité pécheresse.
Le Carême nous invite à une métanoïa, ce qui signifie un appel à une réorientation radicale de notre vie, un changement d’attitude. Ici, cela demande une transition de notre façon de voir, de juger et d'agir à la manière dont Dieu voit tout, tous les événements et les incidents, de ma façon de juger et d'agir comme Dieu le fait. C'est ce que cela signifie lorsque Jésus disait «repentez-vous». Le Carême est alors un temps pour avoir l'esprit de Jésus, le cœur de Jésus, les yeux de Jésus, les lèvres de Jésus, car nos lèvres sont souvent impures et nous vivons parmi des gens dont les lèvres sont aussi impures (cf. Is 6, 1-9).
Le jeûne ici a une nouvelle dimension, une nouvelle façon de faire le jeûne. Notre jeûne doit inclure tous nos cinq sens, plus notre volonté personnelle. Notre jeûne doit lutter contre tous les sept péchés capitaux : l’orgueil, l'envie, la colère, la paresse, la gourmandise, la la luxure….
Le temps du Carême est alors une période très exigeante. Nous devons aller contre les trois ennemis spirituels du monde, le diable et nous-mêmes (sarx).
Le cœur et l'esprit du Carême se divisent de trois manières : la charité, la prière et le jeûne (cf. Mt 6, 1-6, 16-18). Il y a le bonheur et la douleur, le bonheur à cause de la charité intérieure du cœur que l'on éprouve envers Dieu et envers son prochain, la douleur à cause de l'indifférence que l'on doit vivre chez son prochain, que l'on veut aider. L'amour doit passer par le creuset de la douleur et de la souffrance. Il faut éprouver une sorte de douleur de travail d’accouchement en donnant naissance à de nouvelles âmes. Cet amour rédempteur peut être très déchirant. Cela vaut la peine de passer par là. Jésus a dit à Ste Teresa de Calcutta : "Votre vocation est d'aimer, de souffrir et de sauver les âmes". Ici, l'amour devient amour souffrant, amour sacrificiel, amour laborieux. On éprouve de la joie parce qu'une nouvelle âme est rachetée par cet amour laborieux, par cet amour rédempteur.
Le Carême est un temps pour vivre ce double type de bonheur et de douleur inséparables, que les âmes saintes ont vécu y compris St Jean-Paul II, Ste Teresa de Calcutta, St Paul VI, Ste Thérèse de Lisieux, Ste Catherine de Sienne, pour n'en nommer que quelques-uns.
Le Carême est une période de grande espérance, espérant contre toute espérance. Même lorsque tout autour de nous est sombre, nous devons espérer contre toute espérance. Le Carême est un moyen qui nous conduit et nous guide vers Pâques. Le Carême sans Pâques est un temps très triste. Nous pouvons tomber dans le désespoir. Imaginez avoir un Vendredi Saint sans dimanche de Pâques. C'est la pensée du dimanche de Pâques qui nous donne toute la force, tout le courage et la vitalité, toute l’orientation réelle, toute la joie à notre vie quotidienne de prière, de pénitence, de sacrifice, d’humiliations, de malentendus, tous les hauts et les bas !
Nous connaissons ici le sens et la signification chrétienne de la souffrance humaine. La souffrance n'est pas une fin en soi. C'est un moyen nécessaire pour sauver les âmes, Salvifici Doloris. C'est en ce sens que saint Jean-Paul II a dit: «La souffrance est une vocation», car elle est rédemptrice ; elle nous rachète et rachète les autres. C'est en ce sens que les apôtres ont quitté le Sanhédrin pleins de joie, qu'ils ont été jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus (cf. Actes 5,41). Il n'est donc pas étonnant que Jésus ait demandé à Ste Teresa de Calcutta et aux Missionnaires de la Charité d'être «des victimes de son amour,… recouvertes de la pauvreté de la croix, de l'obéissance de la croix et de la charité de la croix». Pas étonnant que Jésus ait dit à Ste Teresa M.C. qu'elle est l'épouse de Jésus crucifié. Il lui a demandé d'offrir plus de sacrifices, de sourire plus tendrement et de prier avec plus de ferveur. Pas étonnant que Jésus ait dit à Ste Teresa M.C. que «dans son immolation, en étant le feu de l'amour de Jésus parmi les pauvres, ils vont voir Jésus, le connaître et le vouloir». Par conséquent, la souffrance et la douleur, la croix et les épreuves sont de puissants moyens de voir Jésus, de connaître Jésus et de vouloir Jésus, donc d’être sauvés et rachetés.
«C'est en mourant que nous naissons à la vie éternelle». St Paul a exprimé cette réalité de tant de manières différentes: «Ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis… » (Col 1,20). «Avec le Christ, je suis cloué sur la croix». St Paul poursuit : « Moi, en effet, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi… » (2Tim 4, 6-8).
Pour conclure ces quelques réflexions sur le Carême à la lumière de tout ce qui se passe c’est une tâche herculéenne. Ce que nous devons faire, c'est nous accrocher à l'essentiel de la vie. Le monde moderne est dans la douleur et dans le chagrin, car il tient à ce qui est éphémère et transitoire, tout en étant indifférent à la réalité essentielle qu'est Dieu. «Dieu ou rien», a écrit le cardinal Sarah. Avec lui, nous pouvons gravir des montagnes, nous pouvons relever des défis, nous pouvons vaincre le mal avec Dieu. Le moyen d'y parvenir est la prière, la pénitence et les œuvres de miséricorde. Ici, je voudrais citer l’une des belles pensées de Saint-Pierre Chrysologue :
«Il y a trois choses qui consolident la foi, stabilisent la dévotion et maintiennent la vertu. Ce sont la prière, le jeûne et la miséricorde. La prière frappe à la porte, le jeûne demande et la miséricorde reçoit: ces trois ne font qu'un et ils s'éclairent l’un l’autre.
Si le jeûne est l'âme de la prière, la miséricorde est la vie du jeûne. Que personne ne coupe les liens qui les unissent : ils ne peuvent être séparés. Donc, que celui qui prie, jeûne, que celui qui jeûne fasse l’aumône. Celui qui espère qu’on écoutera ce qu’il demande, qu’il écoute d’abord celui qui demande. Il ouvre l’oreille de Dieu celui qui ne ferme pas son oreille à la supplication.
Que celui qui jeûne comprenne en quoi consiste le jeûne. Celui qui veut comprendre Dieu qu’il comprenne le pauvre. Qu’il soit miséricordieux celui qui veut qu’on le traite avec miséricorde. Celui qui implore la pitié doit commencer par l’exercer. Si quelqu’un veut qu’on lui témoigne de l’affection, qu’il en témoigne à autrui. C’est à toi à fixer la mesure de la miséricorde qu’on exercera envers toi. Si quelqu’un veut recevoir, qu’il donne. Si quelqu’un demande pour lui ce qu’il refuse à l’autre, sa demande est une moquerie.
Que l’oraison, donc, le jeûne et la miséricorde soient pour nous un seul et même protecteur auprès de Dieu, un seul et même avocat, une seule et même supplication à trois faces. » (Sermon 43. Office des Lectures du mardi, Carême, semaine 3).
Je souhaite à chacun de vous un Carême serein et fructueux qui nous conduira doucement à la grande fête de Pâques !
Dieu vous bénisse.
Père Sébastien Vazhakala m.c.