24.02.08

VI
Est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu, le Père tout-Puissant
1. Que Jésus, le Ressuscité, « est monté au ciel »,
cela n'est pas un événement géographique; c'est bel et bien le retour au point de départ de sa mission, d'un Jésus maintenant chargé de toute la récolte du monde, fruit de cette mission. Qu'il ne s'agit pas d'un changement de lieu, la diversité des aspects décrits dans l'Écriture le montre déjà. Si Jésus apparaît à Madeleine en pleurs et ne lui permet pas de le toucher parce que il ne serait pas encore monté vers le Père, c'est qu'il veut manifestement la faire participer à son mouvement du monde des morts vers la vie éternelle : c'est de cette dynamique même qu'elle doit porter le témoignage aux disciples.
Si, à la fin des quarante jours, il s'envole visiblement au ciel devant le groupe des Apôtres en les bénissant, c'est pour leur mettre sensiblement devant les yeux que le temps où le mystère n'était pas encore révélé est terminé. Car il porte maintenant son œuvre terrestre à son accomplissement, en sa qualité d'être déjà céleste : il leur commente l'Écriture, à nouveau il célèbre l'Eucharistie avec eux, il choisit définitivement Pierre comme pasteur de son troupeau, il promet que l'amour, dont Jean est le symbole, demeurera dans l'Église jusqu'à son retour. Il serait absurde de penser et de prétendre ici, en termes de chronologie, que l'union du Ressuscité avec le Père n'aurait eu lieu qu'à la fin de ces quarante jours-là
2.Dire que le Ressuscité « est assis à la droite de Dieu », est naturellement recourir à une image pour exprimer l'élévation inouïe de la nature humaine jusqu'à la participation à la majesté paternelle. Le « à la droite » exprime l'honneur qui est rendu à cette nature, et pareillement l'image de la session. Étienne mourant voit le « le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu », ce qui exprime que le glorifié est prêt à l'action, comme s'il se préparait à prendre près de lui celui qu'on lapide. Et l'on peut difficilement admettre que Paul, qui raconte tois fois l'événement de Damas(Ac9; 22; 26) a vu Jésus siégeant. Il le décrit ailleurs comme Roi exerçant son pouvoir « jusqu'à ce qu'il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds » (1Co 15,25), et l'Apocalypse le décrit justement au combat, dans la bataille, chevauchant contre les puissances anti-chrétiennes (Ap 19,11-16).
Ainsi est-il juste de dire que, arrivé en lui-même à l'accomplissement, le Fils de l'homme continue d'agir à travers l'histoire du monde, jusqu'à ce que le tout ait « grandi » vers Celui qui est la Tête, le Christ (Ep 4,15). Ainsi la parole du Jésus terrestre disant qu'il opère ce qu'il voit le Père opérer vaut-elle encore et toujours (Jn 5,19s). Dans la vie éternelle, repos et activité coïncident. C'est seulement de cette manière que c'est une vraie vie.
3.Celui qui a été élevé aux cieux partage l'autorité du « tout puissant », car le Père a remis au Fils de l'homme « tout jugement, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père » (Jn 5,23). Quelle puissance pourrait être plus grande que celle de juger du plus intime, du plus secret de chaque de chaque homme, et de lui attribuer le destin éternel qui, en conséquence, lui revient? La toute-puissance repose beaucoup moins qu'on ne le pense dans ce que les hommes s'en représentent : changer les choses selon sa propre volonté – encore que de cela aussi Jésus a fourni une preuve dans ses miracles. Elle réside bien davantage dans la capacité de mouvoir la liberté des cœurs sans leur faire violence, de réussir à obtenir d'eux, par la puissance secrète de la grâce, le libre oui à ce qui est véritablement le bien.
Les Pères de l'Église avaient coutume de dire que la grâce de Dieu n'agit pas par violence mais par « persuasion » (suasione), en recommandant le choix du meilleur et en donnant à la faible volonté humaine la force d'y consentir de sa conviction et de sa force propres. Jusqu'à quel point la volonté pécheresse peut-elle résister à cette force de conviction du bien- peut-être jusqu'à la fin? - Savoir cela appartient seulement au Juge tout-puissant de tous les cœurs. De ce jugement, sur le déroulement et le contenu duquel nous ne pouvons rien dire à l'avance, traite l'article suivant de notre confession de foi
21.02.08

V
Le troisième jour est ressuscité des morts
1.« Le troisième jour ressuscité selon les Ecritures »
, dit Paul (1 Co 15,4), qui veut aussi voir, dans cette résurrection que personne n'attendait, un accomplissement de ce qui avait été annoncé, tandis que les évangélistes mettent cette annonce dans la bouche du Seigneur lui-même (Mc 10,34). Qu'on puisse assigner à un jour prédéterminé le tournant qui commande tout, montre que, prévu avec précision, ce tournant est datable pour les témoins eux-mêmes, comme tout ce qui est arrivé dans les jours mortels de Jésus. Cette datation est tout aussi importante que celle de la Passion sous Ponce Pilate. Le point chronologique où , dégagée de la mort de la nouvelle vie de Jésus s'éloigne de notre histoire mortelle, n'est pas un moment indéterminé; il est, dans cette histoire qui continue, un maintenant fermement situable.
Il n'en va pas comme si quelqu'un avait pu suivre et accompagner ce surgissement vers la vie à partir de la mort. Il s'agit d'un événement dans l'histoire de Dieu seul; il n'en va pas autrement de l'événement de l'Incarnation. Pourtant, tous les deux – entrée et sortie – touchent notre histoire humaine. Les femmes, les disciples rencontreront le Ressuscité au jour même de sa Résurrection, tandis qu'Élisabeth ne reconnut l'évenement de l'Incarnation que quelques jours après qu'il se fût produit (Lc 1,42 s).
2.
La plupart du temps, la Résurrection du Seigneur mort est attribuée par l'Écriture à Dieu le Père et à sa toute puissance. C'est approprié, puisque c'est avant tout dans l'obéissance au Père divin que le Fils a en vérité conduit à son accomplissement la décision (tri(u)nitaire) en faveur du salut. Dans les discours d'adieu johanniques, Jésus, qui va par la Croix glorifier l'amour du Père pour le monde, lui demande sa propre glorification, celle-ci lui ayant été déjà promise (Jn 13,32; 12,28).La toute puissance du Père, qui se manifeste dans le passage de la mort à la vie éternelle, est célébrée par Paul comme victorieuse (Ep 1,19s).
Mais puisque l'Esprit Saint du Père et du fils a médiatisé toute l'œuvre du salut entre le ciel et la terre, la Résurrection des morts peut lui être attribuée à lui aussi (en même temps qu'au Père cf. Rm, 8,11). Et si nous est étrangère la pensée qu'un mort s'éveille lui-même à la vie, on peut dire que Jésus lui-même, dont la mort – comme nous le disions – était œuvre de son plus vif amour, d'un amour qui était un avec l'Esprit d'amour divin, a lui aussi activement participé à ce passage vers la vie.
Dorénavant il vit « pour Dieu » (Rm 6,10); mais n'a-t-il pas toujours-déja vécu pour Dieu? Et s'il est « une fois pour toutes mort au péché » (id), ne l'a-t-il pas déjà fait dans sa vie et sa Passion? L'unique Dieu tri(u)nitaire opère l'œuvre qui est et reste la donnée centrale pour toute l'histoire de l'humanité : ceux qui sont par nature finis, condamnés à la corruption par le fait qu'ils se sont détournés de Dieu, reçoivent, par le rappel de l'Unique dans la vie éternelle, le don de l'espérance – et même de l'assurance – de l'y suivre (1 Co 15,21).
3. « Des morts ».
D'après ce qui précède, cela ne voudrait pas dire : en quittant les morts; mais : en allant les chercher, en les prenant avec lui, comme cela est merveilleusement décrit dans les prédications des Pères (cf. l'homélie du Vendredi-Saint au Bréviaire). Mais si Paul s'exclame ensuite victorieusement : « Où est_il, ô mort, ton aiguillon? La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Co 15,34 s), cela veut dire encore quelque chose de plus : la réalité du mourir comme abandon de soi de l'homme a perdu son aiguillon (à savoir : qu'au bout du compte « tout était vain »), et se trouve incluse à l'intérieur du déploiement de la vie éternelle.
Si le Père se donne sans réserve au Fils, et si, à leur tour, Père et Fils se donnent à l'Esprit Saint, n'y-a-t-il pas là, au cœur de la vie éternelle, l'image originaire du plus beau mourir? Ce définitif ne-pas-vouloir-pour-soi n'est-il pas précisément le présupposé de la vie la plus heureuse? Notre misérable mourir est assumé dans ce « mourir vers » le plus vivant qui soit, de sorte que tout ce qui est de l'homme, sa naissance, sa vie et sa mort, se trouve désormais enveloppé, abrité, dans une vie qui ne connaît plus aucune limite.
18.02.08

IV
A souffert sous Ponce Pilate, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers.
1.« A souffert ».
Il est significatif que le Credo ne fasse pas état de la vie publique de Jésus, de son enseignement, de ses miracles, de son initiative de rassembler ses disciples en vue d'une Église à venir. Cela montre que toute la vie et l'action de Jésus furent sciemment comprises par lui-même en relation avec « l'heure » qui vient, où – après ce qui fut pratiquement un fiasco – devait être accompli l'acte décisif et qui allait tout changer : la souffrance pour le monde pécheur et réfractaire à Dieu.
Il me paraît précipité de vouloir retirer à Jésus toutes les prédictions directes et indirectes de sa passion, comme s'il n'avait pas su pourquoi finalement il fut envoyé dans le monde, comme si le vif reproche fait à Pierre (« Satan », Mt 16,23), l'invitation à porter sa croix chaque jour derrière lui (Lc 14,27), l'aspiration angoissée au « baptême » qu'il a à recevoir (Lc 12,50), étaient de pures inventions de l'Église primitive – pour ne rien dire du tout de la théologie paulinienne de la Croix.
Que Jésus n'ait pas eu à l'avance devant les yeux maints détails de la Passion dont les évangélistes lui attribuent la connaissance, il n'est pas besoin de le contester, précisément parce qu'il abandonnait au Père la maîtrise et le contenu de « l'heure » (Mc 13,32). Il n'est pas vrai non plus que Jésus ait constamment souffert d'avance à la perspective incessante de la croix; il acceptait sans restriction chaque don du Père : aussi celui de la joie, du compagnonnage, et de l'ensemble des dons dont il se voyait le bénéficiaire.
Mais l' « heure du pouvoir des ténèbres » (Lc24,53) où lui furent infligées par les hommes toutes sortes de souffrances spirituelles et physiques, et où le Père lui-même abandonna le Supplicié, est pour nous une nuit insondable. Aucune célébration du chemin de la Croix, et pas même les horreurs des tortures humaines et des camps de concentration, ne donnent une image de cela. Qui peut s'imaginer ce que cela signifie, face à un Dieu qui se détourne de cette abomination, que de porter la charge du péché du monde, d'éprouver en soi-même la perversion intime d'une humanité qui refuse à Dieu tout service et tout honneur?
Et puisque sont rassemblés ici, dans leur amplitude impossible à dominer, tous les temps depuis le commencement jusqu'à la fin du monde, la Croix se trouve, pour celui qui la souffre, arrachée au régime du temps; d'un regard en avant vers la résurrection après-demain, il ne peut donc plus être question. Le pécheur peut espérer, le « péché », non; mais précisément, à cause de nous, Christ « a été fait péché » (2 Co 5,21).
« 2. "Est mort et a été enseveli" ».
Mort avec la question à son Dieu disparu : pourquoi l'a-t-il abandonné? Mort en remettant son esprit dans les mains de l'Absent. Mort avec un grand cri, dans lequel -selon Nicolas de Cuse – la Parole désormais inarticulable de Dieu atteint son point culminant. Mort de la mort qui le plaçait au point extrême de la communion avec tous les pécheurs, mais de la mort la plus ténébreuse, car quelle nuit est plus sombre que celle de celui qui a connu le plus intimement le Dieu perdu?
« Et enseveli », précision sur laquelle Paul aussi met l'accent (1Co 15,4, en signifiant par là que le Ressuscité n'était plus au tombeau), c'est-à-dire : réellement mort, et terminant par là, comme chacun de nous son destin terrestre.
3.« Descendu aux enfers ».
Naturellement, car la mort « est suivie des enfers » (Ap 6,8), dont la désolation nous est si réalistement décrite par les Psaumes. C'est comme un mort humain que le Fils est descendu chez les morts, et non-pas comme un victorieux-vivant portant une oriflamme de Pâques, à la manière dont, projetant à l'avance la Résurrection dans le Vendredi-Saint, les icônes orientales le représentent. L'Église a interdit de chanter l'alleluia ce jour-là. Et pourtant le nouveau mort est différent de tous les autres. Il est mort par pur amour, par amour humano-divin ; mieux : sa mort était la plus importante mise en acte de cet amour, et l'amour est ce qu'il y a de plus vivant. Ainsi, le fait de connaître effectivement l'état de mort - et cela veut dire : perte de tout contact avec Dieu et avec les frères en humanité (qu'on relise les Psaumes) – est-il aussi un acte de son amour le plus vivant.
Ici, dans la plus extrême solitude, cet amour est annoncé aux morts; plus que cela même : il leur est partagé (1 P3,19). L'action de salut qu'est la Croix ne valait pas, et de loin, pour les seuls vivants; elle inclut aussi en elle tous ceux qui sont morts avant ou après elle. Aussi, depuis cette mort par amour de notre Seigneur, la mort a-t-elle reçu une tout autre signification; elle peut devenir pour nous l'expression de notre plus pur et notre plus vivant amour, si nous l'acceptons comme l'occasion qui nous est donnée de nous remettre sans réserve entre les mains de Dieu. Elle est, alors, non seulement réparation pour tout ce que nous avons manqué mais, au delà de cela, gain, pour d'autres, de la grâce de quitter leur égoïsme et de choisir l'amour comme leur attitude la plus intime.
A partir du Vendredi-Saint, la mort devient purification. Ce jour-là, le Seigneur mort ouvrit un chemin pour sortir de l'éternelle perdition et aller vers le ciel : le feu qui purifie les morts pour les ouvrir à l'amour. Dans l'Ancienne Alliance, cela n'existait pas; pour tous il n'y avait que le Shéol, le lieu de l'être-mort. Descendant dans ce lieu, le Christ a ouvert l'accès au Père.