10.03.08

XI
(A) la résurrection de la chair
1.Des puristes ont écarté le mot « chair » du Credo, comme insuffisamment décent.Ils n'ont réussi qu'à faire en sorte que maintenant, dans cette confession de vie, on parle quatre fois des morts, et une cinquième fois on dit « est mort ». Sans doute, comme nous l'avons vu, cette mort était-elle la plus haute action de la vie et de l'amour. Elle était ainsi la victoire sur les « enfers », la victoire en faveur de l'homme corporel destiné à la vie éternelle. Une âme désincarnée n'est pas un homme, et une réincarnation ne pourrait jamais nous délivrer de notre condamnation à la mort.
Mais cette espérance, insensée au regard de la corruption et du tombeau, et qui contredit toute expérience, est suspendue à un fait : la résurrection du Christ, sans laquelle toute la foi chrétienne est « vide » (1 Co 15,14). « Voyez mes mains et mes pieds; c'est bien moi! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os comme vous voyez que j'en ai » (Lc 24,39). Quand ce miracle s'accomplira-t-il pour nous mortels? - Il est oiseux de spéculer sur ce point. Comment se succéderont les événements dans le temps qui est au-delà de la mort, Dieu seul le sait. Et sur le comment, Paul ne peut lui-même que que balbutier en images et en paraboles (1 Co 15,35 ss).
Il suffit que ceci nous soit attesté : dans les récits de Pâques, le Seigneur apparaît corporellement, mais non plus lié aux lois de notre temps et de notre espace, non plus soumis à son espérance matérielle : libre de se donner à reconnaître à volonté. Notre confession de foi en la résurrection de la chair tient au fil de cette attestation, mais ce fil est cependant un câble des plus solides : rien ne peut avoir été moins inventé par les hommes que ces récits. L'incroyance des disciples face au « radotage » des femmes qui veulent avoir vu le Seigneur (Lc 24,11) est totalement normale, et la finale réaliste de Marc parle d'un triple blâme de Jésus à leur endroit : « parce qu'ils n'ajoutaient pas foi à ceux qui l'avaient vu ressuscité » (Mc 16,14)
2. Il est essentiel que Jésus montre ses blessures : mains, pieds et, chez Jean (pour l'incrédule Thomas), aussi le côté. Et cela, en aucune manière seulement pour son identification (les disciples d'Emmaüs le reconnaissent autrement : à la fraction du pain), mais pour apporter la preuve que toute la souffrance terrestre est transfigurée jusque dans la splendeur de la vie éternelle. Aucune souffrance n'a été si profonde et aucune n'a eu un sens aussi définitif, que la Croix du Seigneur. En aucune manière elle ne peut être dépassée comme quelque chose de désormais révolu, de livré au simple souvenir : la douleur comme telle, toute douleur humaine, toute la souffrance du monde, apparaît ici dans son sens éternellement permanent.
Le Mystère de l'Eucharistie montre au mieux comment se déroule cette transmutation éternellement valable : « Ceci est le calice de mon sang, versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. » Il est dit « effundetur », comme futur. Mais cette effusion de sang ne se produit qu'une fois : autrefois, aujourd'hui et pour l'éternité. Autrefois, déjà dans une sorte d'intemporalité, physiquement et jusqu'au sang, en un événement qui, selon son contenu intime, demeure insurpassable, même dans la transfiguration de la vie éternelle.
Quelle espérance pour tous ceux qui souffrent sur terre, et qui, la plupart du temps, ne parviennent pas à trouver un sens à leur souffrance! Celle-ci est assumée près de Dieu, mystérieusement féconde en Dieu. Souvent, nous chrétiens, nous pensons pressentir dans la souffrance la plus cruelle, incompréhensible à nos yeux terrestres (Auschwitz), une proximité mystérieuse avec la caractère absurde et la nécessité cachée de la Croix du Christ. Mais toute la cruauté du monde n'arrive jamais à la hauteur de ce qui, sur le Golgotha, fut l'abandon de Dieu par Dieu; en cet abandon tout trouve son refuge et son abri.
3.Nous pouvons cependant avancer d'un pas. L'Écriture parle « d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle » (Ap 21,1). Mais ceux-ci ne seront pas une autre, une seconde création; ils seront la transformation, opérée par Dieu, de sa création une et unique. L'homme est à la vérité quelque chose comme le résultat, la somme, du monde de la création; mais ce n'est pas seulement lui qui ressuscitera; ce monde aussi, qu'il présupposait, qui était en un certain sens son arbre généalogique, se porte de toute sa dynamique interne vers l'accomplissement. L'épître aux Romains le dit expressément : toute la création gît dans les douleurs, soupire et aspire à la rédemption; elle veut être libérée « de la servitude de la corruption », du néant et de la « vanité »; elle regarde pour cette raison, vers « la liberté de la gloire des enfants de Dieu », qui déjà « possèdent les prémices de l'Esprit » : la résurrection commence à partir de l'homme, et entraine avec elle celle du monde. Il s'agit expressément de « la rédemption de notre corps » (Rm 8,23); la matérialité de la nature ne se volatisera pas en esprit, mais elle y gagnera une nouvelle, figure dégagée de la corruption.
Dieu ne crée qu'un unique monde. L'homme a perverti l'œuvre du Créateur, le Fils a racheté la vieille création par sa Croix, l'Esprit l'a sanctifiée. Cet unique monde suffira à Dieu éternellement; et, à nous-mêmes, qu'il a créés, rachetés et sanctifiés, ce Dieu suffira.