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27.02.07

French (FR)   "EUCHARISTIE, COMMUNION ET SOLIDARITÉ"  -  Categories: jc, Mère Teresa, documents, Benoit XVI  -  @ 21:50:29
2. Communion

Le deuxième mot que vous avez choisi comme thème pour votre Congrès eucharistique - communion - est aujourd'hui devenu un mot à la mode. C'est en effet l'une des paroles les plus profondes et caractéristiques de la tradition chrétienne, mais précisément pour cette raison il est très important de la comprendre dans toute sa profondeur et l'amplitude de sa signification. Nous pouvons peut-être insérer ici une observation tout à fait personnelle. Lorsque, avec des amis - en particulier Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Louis Bouyer, Jorge Medina - j'eus l'idée de fonder une revue, dans laquelle nous avions l'intention d'approfondir et de développer l'héritage du Concile, nous nous mîmes à la recherche d'un nom qui puisse exprimer de la façon la plus complète, par un seul mot, l'intention de ce média. Lors de la dernière année du Concile, en 1965, une revue avait déjà été fondée, qui devait pour ainsi dire être la voix permanente du Concile et de son esprit et qui s'intitulait donc Concilium. A ce propos, le fait que Hans Kung dans son livre "Structures de l'Eglise" crut avoir découvert une signification équivalente aux paroles "Ekklesia" (Eglise) et "Concilium" a pu jouer un rôle. A l'origine des deux termes se trouverait la parole grecque "kalein" (appeler): le premier mot (Ekklesia) signifie de fait: convoquer, le deuxième mot (Concilium): appeler ensemble, et donc en dernière analyse, ils signifient tous les deux la même chose. Il pourrait en dériver une sorte d'identité entre les concepts d'Eglise et de Concile. De par sa nature, l'Eglise serait la suite du Concile de Dieu dans le monde. Il faudrait donc penser l'Eglise de façon conciliaire, devant être réalisée sous la forme d'un Concile; vice-versa, le Concile serait la réalisation la plus intense, de façon absolue, de l'Eglise, autrement dit l'Eglise à son sommet. Au cours des années suivantes, j'ai pendant quelques temps suivi cette conception à première vue très éclairante, selon laquelle l'Eglise apparaissait comme l'assemblée permanente du conseil de Dieu dans le monde. Les conséquences pratiques de cette conception ne doivent pas, en réalité, être négligées, et son attrait est immédiat. J'étais cependant parvenu à la conclusion que la vision de Hans Kung contenait certainement quelque chose de vrai et de sérieux, mais qu'elle avait également besoin de corrections importantes. Je voudrais ici brièvement résumer le résultat de mes études d'alors. Il ressortait de la recherche philologique, comme de la compréhension théologique de l'Eglise et du Concile à l'époque antique, qu'un Concile peut certainement être une importante réalisation de la vie de l'Eglise, mais que l'Eglise elle-même est en réalité quelque chose de plus et que son essence va plus en profondeur. Le Concile est quelque chose que l'Eglise accomplit, mais l'Eglise n'est pas un Concile. Celle-ci n'existe pas en premier lieu pour délibérer, mais pour vivre la parole qui nous est donnée. Comme concept de base, dans lequel on propose l'essence de l'Eglise même, j'ai trouvé le terme koinonia - communion. L'Eglise tient des Conciles, mais elle est communion, c'est ainsi que je pourrais à peu près résumer l'essentiel de mes recherches d'alors. Sa structure ne doit donc pas être décrite par le terme "conciliaire", mais plutôt par le terme "de communion". Lorsque j'ai proposé publiquement cette idée en 1969, dans mon livre "Le nouveau peuple de Dieu", le concept de communion n'était pas encore très diffusé dans le débat théologique et ecclésial public; mes idées à ce propos furent à peine jugées dignes d'intérêt. Elles furent toutefois pour moi un point de départ dans la recherche d'un titre pour la nouvelle revue, que nous avons ensuite également appelée "Communio". Ce concept ne parvint par ailleurs à une importance publique que lors du Synode des Evêques de 1985. Jusqu'alors la parole "Peuple de Dieu" était apparue comme le nouveau concept-clef pour l'Eglise, dans lequel on considérait qu'étaient réunies de façon synthétique les intentions du Concile Vatican II. Cela aurait pu également être vrai, si l'on avait compris la parole dans toute la profondeur de sa signification biblique, et dans le vaste contexte dans lequel le Concile l'avait utilisée. Cependant, lorsqu'un grand mot devient un slogan, il est inévitablement destiné à une réduction, et même à une banalisation. Ainsi, le Synode de 1985 a cherché un nouveau point de départ, en plaçant au centre le terme communion, qui renvoie tout d'abord au centre eucharistique de l'Eglise, et qui renvoie également la compréhension de l'Eglise dans le lieu le plus intime de la rencontre entre Jésus et les hommes, dans l'acte de son don pour nous.

On ne pouvait pas éviter que cette grande parole fondamentale du Nouveau Testament, isolée et utilisée comme slogan, ne subisse elle aussi une réduction, et ne soit même franchement banalisée. Celui qui parle aujourd'hui d'ecclésiologie de communion, entend en général deux choses: il désire opposer une ecclésiologie plurielle, pour ainsi dire fédérative à une conception centraliste de l'Eglise, et il veut souligner le lien réciproque d'Eglises locales, dont l'échange consiste à donner et à recevoir, ainsi que le pluralisme de leurs formes expressives dans le culte, dans la discipline et dans la doctrine. Même là où ces tendances ne sont pas développées en profondeur, la communion est cependant entendue en général dans un sens horizontal - comme un multiple réseau de communautés. La conception d'une structure sous forme de communion de l'Eglise se différencie alors à peine du concept précédemment abordé d'une vision conciliaire: ce qui domine est la vision horizontale, l'idée de l'autodétermination dans une vaste communauté. Il y a naturellement beaucoup de vrai dans cela. Mais l'approche de fond n'est cependant pas correcte et la véritable profondeur du terme que le Nouveau Testament et le Concile Vatican II, ainsi que le Synode de 1985, voulaient exprimer est ainsi perdue de vue.

Pour éclaircir la signification du concept de Communio, je voudrais à présent rappeler brièvement deux grands textes sur la Communio du Nouveau Testament. Le premier se trouve dans 1 Co 10, 16sq, dans lequel Paul dit: "La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas communion au sang du Christ? Le pain que nous rompons n'est-il pas communion au corps du Christ? Puisqu'il n'y a qu'un pain, à nous tous nous ne formons qu'un corps, car tous nous avons part à ce pain unique". Le concept de communio est tout d'abord ancré dans le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie, c'est la raison pour laquelle, aujourd'hui encore, dans le langage de l'Eglise, nous désignons à juste titre la réception de ce sacrement comme le fait de "communier". De cette façon, la signification sociale très pratique de cet événement sacramentel devient également immédiatement évidente, et cela d'une façon radicale qui ne peut pas être atteinte par des visions exclusivement horizontales. Il nous est dit ici qu'à travers le sacrement, nous entrons d'une certaine façon en communion de sang avec Jésus-Christ, là où le sang selon la vision juive signifie "vie", c'est donc une compénétration de la vie du Christ avec la nôtre qui est affirmée. Le terme "sang", dans le contexte de l'Eucharistie, signifie évidemment également don, à propos d'une existence qui, pour ainsi dire, s'offre, se donne pour nous et à nous. Ainsi, la communion de sang est également une insertion dans la dynamique de cette vie, de ce "sang versé" - la dynamisation de notre existence grâce à laquelle celle-ci peut devenir un être pour les autres, comme nous pouvons le constater de façon évidente, devant nous, dans le coeur ouvert du Christ. D'un certain point de vue, les paroles concernant le pain sont encore plus impressionnantes. Il s'agit de la communion avec le corps du Christ, que Paul compare avec l'union de l'homme et de la femme (cf. 1 Co 6, 17sq; Ep 5, 26-32). Paul explique cela également d'un autre point de vue, lorsqu'il dit: c'est un seul et même pain, que nous recevons tous ici. Cela est vrai dans un sens très fort: le "pain" - la nouvelle manne que Dieu nous donne - est pour tous l'unique et même Christ. C'est vraiment l'unique Seigneur, identique, que nous recevons dans l'Eucharistie, ou mieux: qui nous accueille et qui nous assume en lui. Saint Augustin a exprimé ce fait par un mot, qu'il a perçu dans une sorte de vision: mange le pain des forts, en effet, tu ne me transformeras pas en toi-même, mais je te transformerai en moi. Cela signifie que la nourriture corporelle que nous assumons est assimilée par le corps, elle devient un élément constitutif de notre corps. Mais ce pain est d'un autre genre. Il est plus grand et plus élevé que nous. Ce n'est pas nous qui l'assimilons, mais lui qui nous assimile, de sorte que nous devenons conformes au Christ et, d'une certaine façon - comme le dit Paul -, des membres de son corps, une seule chose en lui. Nous "mangeons" tous la même personne, et pas seulement la même chose; nous sommes tous ainsi arrachés à notre individualité circonscrite et insérés dans une individualité plus grande. Nous sommes tous assimilés au Christ et ainsi, à travers la communion avec le Christ, également unis entre nous, rendus identiques, une seule chose en Lui, membres les uns des autres. Communier avec le Christ est également, par essence, communier les uns avec les autres. Nous ne nous trouvons plus les uns aux côtés des autres, chacun pour soi, mais chaque personne qui communie est pour moi, pour ainsi dire, "l'os de mes os et la chair de ma chair!" (cf. Gn 2, 23). Une véritable spiritualité de la communion avec la profondeur christologique possède donc nécessairement un caractère social, comme Henri de Lubac, il y a déjà plus de cinquante ans, l'a décrit de façon merveilleuse dans son livre "Catholicisme". Dans ma prière lors de la communion, je dois donc, d'une part, me tourner entièrement vers le Christ, me laisser transformer par lui et, éventuellement, me laisser brûler par son feu qui m'enveloppe. Mais c'est également pour cette raison que je dois aussi toujours avoir à l'esprit qu'il m'unit ainsi de façon organique avec chaque autre communiant: avec celui qui est à mes côtés, qui peut-être ne m'est pas sympathique; mais également avec celui qui est loin, en Asie, en Afrique, en Amérique ou en tout autre lieu. En devenant une seule chose avec lui, je dois apprendre à m'ouvrir dans cette direction et à m'engager dans cette situation: c'est la preuve de l'authenticité de mon amour pour le Christ. Si je suis uni avec le Christ, je le suis avec l'autre, et cette unité ne se limite pas au moment de la communion, où elle ne fait que commencer puis devient vie, chair et sang dans ma vie quotidienne avec l'autre et à côté de l'autre. C'est pourquoi la réalité individuelle de ma communion, et l'existence et la vie de l'Eglise sont également inséparablement liées l'une à l'autre. L'Eglise ne naît pas comme une simple fédération de communautés. Elle naît à partir de l'unique pain, de l'unique Seigneur et elle existe à partir de lui; elle est dès le début et partout une et unique, l'unique corps qui dérive d'un unique pain. Si elle devient une, ce n'est pas en raison d'un gouvernement centralisateur; il lui est possible d'être un centre commun parce qu'elle tire sans cesse son origine d'un seul Seigneur, qui la crée à travers un seul pain comme un seul corps. C'est pourquoi son unité possède une plus grande profondeur, une profondeur qu'aucune autre union humaine ne pourrait jamais atteindre. C'est justement lorsque l'Eucharistie est comprise dans toute l'intériorité de l'union de chacun avec le Seigneur, qu'elle devient également un sacrement social au plus haut degré. Les grands saints sociaux étaient en réalité également de grands saints eucharistiques. Je ne mentionnerai que deux exemples pris entièrement au hasard. Tout d'abord, l'aimable figure de saint Martin de Porres, qui naquit en 1569 à Lima (Pérou), fils d'une afro-américaine et d'un noble espagnol. Martin vivait dans l'adoration du Seigneur présent dans l'Eucharistie, il passait des nuits entières en prière devant l'Eucharistie, alors que pendant la journée, il soignait inlassablement les malades et prenait soin des personnes issues des milieux les plus défavorisés dont, en tant que mulâtre, il se sentait proche par son origine. Sa rencontre avec le Seigneur, qui se donne à nous depuis la croix et qui fait de nous tous, au moyen de l'unique pain, les membres d'un seul corps, se traduisait de façon cohérente dans le service des personnes qui souffrent, dans le soin aux faibles et aux laissés-pour-compte. A notre époque, Mère Teresa de Calcutta vient à l'esprit de chacun. Partout où elle ouvrait les maisons de ses soeurs au service des mourants et des laissés-pour-compte, la première chose qu'elle demandait était un endroit pour le Tabernacle, car elle savait que c'était l'unique source où puiser la force d'accomplir ce service. Celui qui reconnaît le Seigneur dans le Tabernacle le reconnaît chez les personnes qui souffrent et les indigents; il appartient à ceux auxquels le juge du monde dira: j'avais faim et vous m'avez donné à manger; j'avais soif et vous m'avez donné à boire; j'étais nu et vous m'avez vêtu; j'étais malade et vous m'avez visité; j'étais en prison et vous êtes venus me voir (Mt 25, 35).

Je voudrais encore brièvement rappeler un deuxième texte important du Nouveau Testament à propos du terme communion (koinonia), qui se trouve au tout début de la première Epître de Jean (1, 3-7). Jean parle tout d'abord de la rencontre avec la parole faite chair, qui lui a été accordée: il peut dire qu'il transmet ce qu'il a vu de ses propres yeux, ce qu'il a touché de ses propres mains. Cette rencontre lui a donné le don d'une "koinonia" - communion - avec le Père et son Fils Jésus-Christ, elle est devenue une véritable communication. Cette communion avec le Dieu vivant, nous dit-il, place l'homme dans la lumière; c'est-à-dire dans la vérité de Dieu, qui s'exprime dans l'unique nouveau commandement, qui inclut tout le reste - le commandement de l'amour. Ainsi, la communion avec la "parole de la vie" devient vie juste, devient amour; elle devient également communion réciproque: "Si nous marchons dans la lumière comme Il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres" (1 Jn 1, 6). Le texte nous présente la même logique de la Communio que nous avions déjà trouvée chez Paul: la communion avec Jésus devient communion avec Dieu même, communion avec la lumière et avec l'amour; elle devient ainsi la vie juste, et tout cela nous unit les uns les autres dans la vérité. Ce n'est que si nous considérons la communion dans cette profondeur et cette ampleur, que nous avons quelque chose à dire au monde.

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