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28.12.12

French (FR)   Noël de Jean-Paul Sartre  -  Categories: fafa  -  @ 20:10:21

Le « Joyeux Noël »
de Jean-Paul Sartre

Bariona
ou le Fils du tonnerre

Fait prisonnier, Paul Feller, jésuite, est interné au camp de Trêves où il se lie d'amitié avec Jean-Paul Sartre, qui écrira, pour lui, une pièce de théâtre, une Nativité :
« Bariona, ou le Fils du tonnerre » ; le soir de Noël 1940, Paul Feller jouera le rôle de Bariona, le chef des juifs dressés contre les Romains. Sartre, lui, joue le personnage du roi mage noir, Balthazar.

Inattendu, ce rapprochement de Jean-Paul Sartre et de Paul Feller ? Il s'explique tout simplement par leur rencontre au Stalag XII de Trèves, en 1940. De nombreux prêtres s'y trouvaient rassemblés, et Sartre avait formé avec le jésuite et un cuisinier belge un curieux trio qui se retrouvait dans un coin de la baraque où Paul logeait ses pots de peinture (il s'était attribué, en entrant au camp, la profession de "peintre en lettres" !). C'est sur un bout de table que Sartre rédigea cette pièce, « pour réaliser le soir de Noël l'union la plus large des chrétiens et des incroyants. » Il avait repéré le tempérament d'acteur de Paul, et posé comme condition qu'il tiendrait le rôle de Bariona.

C'est le premier essai théâtral de Sartre. Il ne semble pas avoir été donné en public (sinon en scolasticat), mais il figure dans l'édition de la Pléiade. Le 10 Décembre 2009, cela a donc été une sorte de Première au théâtre de la Madeleine à Troyes.

Bariona est un chef de village qui, au temps de la naissance de Jésus, désespère devant les exigences de l'occupant romain, et veut la mort de sa communauté. Arrive l'annonce de la naissance d'un Sauveur. Il y voit une tromperie. Méditant de tuer l'enfant, il vient à Bethléem, et le regard de Joseph le retourne. Apprenant l'intention d'Hérode, il facilite la fuite en Egypte, et affronte les gardes du roi, rendant l'espoir possible.
«  Et tous ceux-ci qui t'entourent,
il y a beau temps qu'ils ne sont plus ici :
ils sont à Bethléem dans une étable,
autour du petit corps chaud d'un enfant.
Et tout cet avenir dont l'homme est pétri,
toutes les cimes, tous les horizons violets,
toutes ces villes merveilleuses qu'il hante
sans jamais y avoir mis les pieds, c'est Espoir.
C'est l'Espoir. »
« Mais, comme c’est aujourd’hui Noël, vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la crèche. La voici. Voici la Vierge et voici Joseph et voici l’Enfant Jésus. L’artiste a mis tout son amour dans ce dessin mais vous le trouverez peut-être un peu naïf. Voyez, les personnages ont de beaux atours mais ils sont tout raides : on dirait des marionnettes. Ils n’étaient sûrement pas comme ça. Si vous étiez comme moi dont les yeux sont fermés… Mais écoutez : vous n’avez qu’à fermer les yeux pour m’entendre et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi. La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage c’est un émerveillement anxieux qui n’a paru qu’une fois sur une figure humaine. Car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois et elle lui donnera le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Et par moments, la tentation est si forte qu’elle oublie qu’il est Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit : mon petit ! Mais, à d’autres moments, elle demeure tout interdite et elle pense : Dieu est là – et elle se sent prise d’une horreur religieuse pour ce Dieu muet, pour cet enfant terrifiant. Car toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments devant ce fragment rebelle de leur chair qu’est leur enfant et elles se sentent en exil à deux pas de cette vie neuve qu’on a faite avec leur vie et qu’habitent des pensées étrangères. Mais aucun enfant n’a été plus cruellement et plus rapidement arraché à sa mère car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut imaginer. Et c’est une dure épreuve pour une mère d’avoir honte de soi et de sa condition humaine devant son fils. Mais je pense qu’il y a aussi d’autres moments, rapides et glissants, où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle et qu’il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : « Ce Dieu est mon enfant. Cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux et cette forme de sa bouche c’est la forme de la mienne. Il me ressemble. Il est Dieu et il me ressemble. » Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit. Et c’est dans un de ces moments-là que je peindrais Marie, si j’étais peintre, et j’essaierais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant-Dieu dont elle sent sur ses genoux le poids tiède et qui lui sourit. Et voilà pour Jésus et pour la Vierge Marie.
Et Joseph ? Joseph, je ne le peindrai pas. Je ne montrerai qu’une ombre au fond de la grange et deux yeux brillants. Car je ne sais que dire de Joseph et Joseph ne sait que dire de lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer et il se sent un peu en exil. Je crois qu’il souffre sans se l’avouer. Il souffre parce qu’il voit combien la femme qu’il aime ressemble à Dieu, combien déjà elle est du côté de Dieu. Car Dieu a éclaté comme une bombe dans l’intimité de cette famille. Joseph et Marie sont séparés pour toujours par cet incendie de clarté. Et toute la vie de Joseph, j’imagine, sera pour apprendre à accepter. »

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